
Dans le cadre du projet Le Tremplin, l’artiste de la relève Charly Mullot a été sélectionnée en 2024 par le Festival interculturel du conte de Montréal pour recevoir une année de mentorat en conte. Voici ses impressions sur cette expérience de jumelage avec la conteuse d’expérience Stéphanie Bénéteau.
Quand Stéphanie Bénéteau m’a proposé de suivre un programme d’accompagnement, un coaching personnel, elle m’a demandé :
Si tu pouvais choisir une histoire sur laquelle tu aimerais être accompagnée, et un ou une mentor·e, que tu choisirais-tu ?
J’ai réfléchi quelques secondes et j’ai répondu : un conte qui s’appelle Le chasseur, que j’ai entendu de Michel Hindenoch. Et pour ce qui est de la mentore, j’aimerais que ce soit toi. À mon grand plaisir, Stéphanie a accepté. Pour vous donner une idée de comment ça s’est passé, nous nous rencontrions une fois par mois, chez elle, à l’heure du thé. Des rencontres pour parler de fond, pour parler d’histoires.
Comment raconter un conte qui existe dans la bouche d’un autre?
Pour commencer, Stéphanie m’a demandé de lui parler de cette histoire. Je l’avais découverte sur un CD de Planète rebelle, Contes et complaintes, en duo avec Michel Faubert et Michel Hindenoch. À l’époque, cette histoire m’avait complètement transcendée, au point que je l’ai écoutée en boucle, pendant des mois, presque chaque fois que je prenais la voiture. Elle me fascinait, m’obsédait. Jusqu’à ce que je me dise :
Mais attends… je veux la raconter, moi, cette histoire…
Mais j’étais coincée. C’était presque trop tard. Je connaissais déjà la version de Michel Hindenoch par cœur. Si je voulais la raconter, c’est parce qu’elle résonnait avec beaucoup de mes préoccupations : des questionnements sur la parentalité, le genre, et des échos que j’ai découverts plus tard avec la justice transformatrice.
C’était un conte merveilleux, empli de magie, de mystère, d’illogisme, et il me parlait intimement.
Mais il y avait ce blocage : une forme d’admiration paralysante pour la version du CD, que je trouvais parfaite. Et puis, je ne racontais pas encore ce type d’histoire, empreinte d’irrationnel. J’étais impressionnée. Alors avec Stéphanie, on a pris le temps. On a discuté de mes envies, de mes peurs. Puis, petit à petit, on a décortiqué l’histoire. On a exploré les personnages, les éléments symboliques. On a cherché d’autres versions. Des versions très proches et d’autre, extrêmement différentes.
Les constellations de sens
À ce moment-là, Stéphanie m’a proposé de faire intervenir quelqu’un. Toutes les deux, nous avions envie que ce soit Vivian Labrie. Une magnifique rencontre : Vivian nous a accueillies dans son univers de « constellations de sens ». Elle a partagé avec nous des résonances qu’elle percevait, en lien avec le folklore mais aussi avec des œuvres contemporaines. Nous avons plongé dans les symboles du conte, en tissant un réseau de références au-delà de l’histoire elle-même.
Quand on intellectualise trop…
Et c’est là qu’un autre problème est apparu : le conte était devenu trop intelligent pour moi. Trop riche, trop chargé de sens. Je ne savais plus par quel bout l’attraper. J’avais réussi à me détacher de la version d’Hindenoch, mais je me retrouvais à nouveau dans une impasse. Je l’ai confiée à Stéphanie. Et avec toute sa douceur, elle m’a aidée à faire demi-tour. À revenir en arrière. On a cessé de suranalyser. Elle m’a invitée à raconter l’histoire le plus simplement possible, à décrire juste ce que je voyais.
Déshabiller le conte, revenir à l’essentiel.
Et puis le temps a fait son œuvre. L’histoire a recommencé à vivre en moi. Elle n’était plus un « sujet », mais redevenait une histoire qui vibrait dans ma tête comme dans mon cœur. J’ai retrouvé l’envie de la raconter. J’ai commencé à le faire, seule, en marchant ou en conduisant, comme à mon habitude. Et le plaisir est revenu.
Je me suis mise alors à raconter l’histoire à Stéphanie, assise dans son salon, avec une tasse de thé. Elle me faisait des retours : ce qui devenait beau, ce qui restait confus.
J’ai continué à travailler.
Toute cette année de coaching a été centrée sur le fond. Sur l’histoire.
La joie de la transmission
C’est là qu’une nouvelle phase commence : partir avec ce conte, pour le raconter, le confronter, le voir résonner – ou pas – auprès le public.
Si je devais résumer cet accompagnement, je dirais qu’il a ressemblé à ce que j’aime dans le conte : informel, simple, profond, et en prenant le temps.
Ce travail guidé par Stéphanie m’a permis d’allumer des lumières sur le chemin entre moi et cette histoire.
Ce soir, au moment même où j’écris cet article, je vais raconter Le chasseur pour la toute première fois devant un public. C’est le moment où je vais pouvoir commencer à le transmettre à mon tour.
Biographie de Charly Mullot
Alternant entre le conte, l’écriture, la mise en scène, la radio et le drag, Charly cultive une identité plurielle et interdisciplinaire. On trouve dans son répertoire des contes traditionnels, de la mythologie et des histoires nouvelles.
