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LE LOUP À LA COUR

Présenté par le Festival interculturel du conte de Montréal en partenariat avec le Barreau de Montréal, le Procès du Grand Méchant Loup a initié l’audience à la fois sur la portée du conte de tradition orale et sur le système de justice. Voici, sous la plume créative de la conteuse Ariane Labonté, l’histoire de ce conte réinventé. 

Comparution du Grand Méchant Loup

Est-ce que vous l’avez vu passer, le loup? Sur le chemin de la Cour?

L’emblématique Grand Méchant Loup de nos contes pour enfants a été appelé à comparaître au Palais de justice de Montréal le 29 mars dernier afin que la juge détermine sa peine pour les innombrables méfaits qu’il a commis depuis la nuit des contes.

Je sais, ça peut (com)paraître lou(p)foque, que le loup soit appelé à sortir des contes pour rendre des comptes dans le monde réel. C’est pourtant bel et bien ce qui s’est passé! Je peux en témoigner, j’y étais… à titre de témoinS.

Le pluriel n’est pas une erreur. J’interprétais deux témoins dans cette affaire, la maman des sept chevreaux ainsi qu’une savante « contologue » diplômée en sciences de l’imaginaire de l’Université Lewis Caroll.

Le Grand Méchant Loup, pour sa part, était incarné (très carné) par François Lavallée. Il fallait lui voir la dégaine de louche loubard louvoyant lourdement et s’auto-louangeant pour attirer la sympathie de la juge. À mi-chemin entre le cowboy et le bad boy qui rêve d’un fonds de pension, son personnage était savoureux.

Les avocats n’étaient pas en reste, interprétés par un comédien et une comédienne ayant tous deux de l’expérience dans l’univers juridique : Sébastien Delorme, qui joue déjà un avocat dans la série Indéfendable et Catherine Souffront, ancienne avocate au barreau. Ils étaient tous deux très confortables dans leurs personnages! La juge Labalance était pour sa part interprétée par l’honorable juge Sophie Bourque, elle était aussi magnifique dans ce rôle.

C’était tellement rigolo, ludique et improbable de voir se rencontrer l’univers des contes et celui de la Cour, deux univers qui, à priori, semblent diamétralement opposés (et pourtant).

Mise en contexte

Pour une petite mise en contexte – qui arrive un peu tard, pardonnez cet écart – le Procès du Grand Méchant Loup s’est tenu dans le cadre des Rendez-vous VISEZ DROIT, organisés par le Barreau de Montréal. Tout au long de cette journée, plusieurs activités de médiation ont été présentées. Ces activités avaient pour objectif de permettre au grand gentil public d’en connaître davantage sur l’univers juridique. Le Procès du Grand Méchant Loup s’est avéré une attraction majeure au cours de cette journée. Tout un succès!
Les deux représentations du procès ont attiré ensemble plus de 800 personnes. Visiblement, notre Canis magnus impuis a la « cote ». Même le procès des militants du groupe Antigone s’étant attachés au pipeline 9B n’avait pas attiré autant de personnes.
Le succès s’est observé aussi par l’atteinte des objectifs visés par le barreau; informer, sensibiliser et rendre le système de justice plus accessible. Ces objectifs ont été atteints haut la main. Et, subrepticement, plusieurs autres objectifs se sont faufilés dans cette aventure ; amuser, divertir, créer de magnifiques liens entre les humains et, aussi, faire réfléchir sur la portée des contes traditionnels!
Succès là aussi! À travers ce contexte ludique, le public a eu l’occasion de réfléchir sur l’importance des contes dans le développement de l’enfant, tant par le pouvoir que les contes confèrent à « vaincre le loup » que par la fonction rassurante et structurante de la répétition qu’on y retrouve. Grâce aux plaidoyers du loup, de la mère des chevreaux, de la « contologue » et des deux avocats, on a pu aborder avec beaucoup d’humour et de légèreté des sujets qui semblent à priori très nichés comme la fonction symbolique du conte ou encore le pouvoir archétypal des personnages; c’était magnifique.

Expérience artistique enrichissante

Personnellement, dans tout ce processus, j’ai vécu une expérience vivement. J’ai eu la chance de partager la « scène » avec des gens issus de trois univers différents : conteurs, comédiens et gens du barreau. J’ai aimé contribuer à faire cohabiter ces trois façons de travailler. On a tous pu constater à quel point l’ouverture et le décloisonnement sont enrichissants. Les gens du barreau se sont délectés de nos réflexions sur le conte, les comédiens ont apprécié notre spontanéité de conteur et conteuse et nous avons adoré découvrir leur univers.
En amont, le travail de réflexion, de préparation et de cocréation était tout aussi stimulant. Les avocats travaillent avec les mêmes outils que les conteurs; le langage, la force narrative et la puissance du récit. Eux aussi ont pour mission de marquer l’imaginaire. Pas si opposé finalement.
Dans ce processus, j’ai rencontré des gens à l’intelligence aiguisée et au cœur ouvert, des gens profondément humains, et ça m’a fait du bien. Le plaisir de réfléchir ensemble à ce qu’on tenait à dire sur le loup était grand. Trop souvent, on sent que le public aimerait occulter le loup, car ils l’associent à la cruauté. La présence du loup est pourtant nécessaire dans les contes pour qu’on apprenne (ou se rappelle) qu’on est capable de le vaincre. Avec humour, on l’a exprimé dans ce procès. Procès au bout duquel le loup a été condamné à… à quoi vous pensez? À rester prisonnier des contes jusqu’à le nuit des temps pour y subir encore et toujours la judicieuse justice des contes.
Et c’est bien fait pour… nous!

Note : Le scénario du Procès du Grand Méchant Loup a été créé collectivement par la directrice artistique, Stéphanie Bénéteau; les deux artistes du conte, Ariane Labonté et François Lavallée; et les membres du comité Rendez-vous Visez-Droit du Barreau de Montréal, en partant du texte du premier procès, qui a été conçu avec la précieuse collaboration des conteurs Yves Robitaille et Alexis Roy.

Biographie de Ariane Labonté

Ariane Labonté porte ses contes éthiques et poétiques aux adultes et aux enfants depuis plus de 18 ans. Bachelière en création littéraire, marionnettiste, musicienne et conteuse, ses histoires comportent un message humaniste, écologiste et pacifiste. Par ses acrobaties langagières, elle invite les gens à entrer dans un univers sensible et sensé. Elle valse avec les mots pour stimuler, avec ludisme, une réflexion profonde sur notre monde. Elle offre son langage en gage d’engagement.

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