
Lors des Rencontres internationales du documentaire de Montréal, Charly Mullot, artiste du conte de la relève, présente un conte qui soulève l’enthousiasme du public. Voici l’histoire de cette soirée.
Je raconte depuis quelques années. Je suis encore un·e débutant·e, je me situe avec exaltation aux portes du royaume des contes. J’ai encore peu d’histoires dans mon répertoire et j’ai surtout raconté dans des festivals pluridisciplinaires, dans des salles de spectacles ou chez l’habitant.
Cet automne, mathild·e capone, un·e réalisateur·rice de cinéma documentaire m’a invité·e à venir conter une histoire à la soirée de lancement de son film dans le cadre du festival des « Les Rencontres internationales du documentaire de Montréal ».
Son film « EVICTION » nous plonge à l’intérieur d’un collectif d’habitation queer et anarchiste en plein processus d’expulsion. Une perte de logement injuste et précarisante, comme c’est trop souvent le cas à Montréal.
mathild·e me dit qu’iel aimerait que je vienne raconter une histoire, en résonance avec les problématiques d’espaces autogérés, de propriété ou de pouvoir lié à la propriété. J’étais très touché·e, mais je n’avais aucune idée de ce que je pouvais raconter.
J’en ai parlé à Mafane, une amie, conteuse elle aussi.
« Ah… Je crois que Yves Robitaille a un conte magnifique avec un rosier et un jardinier. Je ne m’en souviens pas tout à fait… Mais il y a une histoire de propriétaire et la fin est magnifique. »
J’ai appelé Yves, un conteur dont l’expérience n’a d’égal que sa générosité. Il m’a répondu :
« Oui, c’est le maître du jardin, je t’envoie une version écrite par Gougaud et deux enregistrements audio de moi. »
J’ai écouté les enregistrements, et là tout me semblait évident.
C’était la bonne histoire à raconter au bon moment.
Un public surpris…
Est arrivé le soir de la première du film. Un film magnifique qui a provoqué une grande émotion dans la salle. Après la projection, nous nous retrouvons avec la centaine de spectateur·rices dans la Cinémathèque pour la soirée de lancement.
Après une première partie de discours militants portés avec puissance et fébrilité par des personnes engagé·es bénévolement dans le soutien aux locataires et avant une deuxième partie de soirée d’art de la parole, j’ai été invité·e à monter sur scène pour raconter mon histoire.
L’émotion dans la salle était grande, mais les oreilles sortaient d’une trentaine de minutes de discours ancrés dans le réel.
J’ai commencé à raconter le plus simplement possible sans introduire que c’était un conte, et que ça allait être un petit peu différent.
« C’est une histoire qui se passe dans un royaume et dans ce royaume, il y a un roi. »
Les premières secondes, je sentais le public surpris. Puis peu à peu, iels ont commencé à me suivre, et les visages étonnés ont laissé place à des sourires.
Certain·es ont vu venir la fin, d’autres se sont laissé surprendre. Quand j’ai prononcé les derniers mots de cette histoire, cette phrase magique qui dit que le roi qui pensait être le maître du jardin n’en était que le propriétaire, le public s’est mis à applaudir et à crier.
…et ravi
C’est la première fois que je racontais une histoire qui suscitait une telle réaction. Il y a plusieurs choses qui me sont apparues à ce moment-là.
La plus importante, c’est que quand les gens se sont mis à crier, presque comme à la fin d’une chanson entraînante à un concert de rock, ce n’était pas la conteuse qu’iels célébraient, je n’avais mis aucune virtuosité dans ce partage. Ce qui exaltait le public à ce point, c’était l’histoire. Une histoire puissante, récoltée loin d’ici il y a très longtemps et qui à cet instant précis résonnait plus fort que si elle avait été écrite pour l’occasion.
Tout était beau. L’émotion vécue collectivement face au symbole, alors que nous étions rassemblés pour partager sur la violence de la réalité et du libéralisme.
Cette histoire avait été transmise par un ami, grâce au souvenir d’une amie.
Une transmission, sans droits d’auteur, sans contrat et sans subvention.
…par la bonne histoire au bon moment
Comme j’ai dit au début de ce texte, ça ne fait que quelques années que je raconte. C’était la première fois que je vivais l’expérience d’avoir pu partager la bonne histoire au bon moment.
Biographie de Charly Mullot
Alternant entre le conte, l’écriture, la mise en scène, la radio et le drag, Charly cultive une identité plurielle et interdisciplinaire. On trouve dans son répertoire des contes traditionnels, de la mythologie et des histoires nouvelles.