
La conteuse Isabelle Crépeau est invitée, pour une troisième année, à participer au projet « NOUS – contes du monde » du Festival interculturel du conte de Montréal, un projet alliant conte et philosophie. Voici ses réflexions sur cette expérience de méditation qui, à partir de contes de tradition orale, participe à l’enrichissement de la pensée des élèves du primaire.
Médiation en conte et philosophie
Pour la troisième année, j’ai eu le privilège d’agir comme médiatrice dans le cadre du projet NOUS – contes du monde, piloté par le Festival interculturel du conte de Montréal en partenariat avec Vision Diversité [1].
La particularité de ce projet de médiation réside dans l’idée développée par Nadine Walsh et Marie Froment d’aborder les contes en utilisant les outils de la Philosophie pour enfants. Nadine, Saulo Giri, Stéphanie Bénéteau et moi avons eu la chance de rencontrer Marie Froment à plusieurs reprises pour qu’elle puisse nous transmettre l’essence de cette approche.
Cette année, je réalisais huit rencontres avec une classe de 6e année de l’école primaire Perce-Neige à Pierrefonds. Ces ateliers en classe ont permis aux élèves de se familiariser avec la parole vivante et l’art du conte à travers plusieurs contes traditionnels du répertoire d’ici et d’ailleurs. Les élèves de cette école sont majoritairement issus de différentes cultures, le choix des contes permettait de mettre en valeur l’universalité de ces récits portés par la tradition orale par-delà le temps et les frontières.
La magie qui opère pendant ces rencontres réside en grande partie dans le côté si rassembleur du conte. On écoute ensemble. Les imaginaires sont liés par une expérience commune, à la suite de laquelle chacun se met à réfléchir. Les discussions permettent aux jeunes de s’initier aux outils de la pensée et de pousser plus loin la réflexion en s’ouvrant aux idées exprimées par les autres. Et c’est de la multiplicité des points de vue que s’enrichit la pensée de chaque personne. Dès les premières rencontres, il y a des enfants qui ont spontanément des réactions, des interrogations face à l’histoire racontée. Les élèves se rendent rapidement compte que chacun n’a pas nécessairement la même vision. D’une semaine à l’autre, les jeunes apprennent à connaître et utiliser des outils qui leur permettent de mieux développer et exprimer leur pensée. Ils et elles sont aussi de plus en plus conscients que cette pensée est vivante, évolutive et s’enrichit dans l’échange avec les autres.
Contes, questions à l’humanité
À la première rencontre, les enfants s’attendaient à ce que je lise une histoire et ils ont été surpris d’être mis en contact avec la parole vivante. Je leur ai parlé du conte de tradition orale et de ses récits qui circulent à travers le monde depuis avant même l’invention de l’écriture. Je leur ai mentionné que chacun fait ses propres images à l’aide de son imaginaire et de son expérience de vie.
Nous avons ensuite parlé de philosophie en essayant de comprendre ce qui se cachait derrière ce mot.
Je leur ai alors raconté une première histoire : Le serin et les trois vérités
Un chasseur bredouille et affamé capture un serin et veut le manger. Le petit oiseau argumente qu’il n’y a même pas de quoi faire une bouchée et promet de révéler trois secrets importants si le chasseur accepte de le libérer.
Encore dans la main du chasseur, il révèle son premier secret : « Tu ne dois rien regretter. Il ne faut pas vivre dans le passé. » Le chasseur apprécie cette vérité et laisse l’oiseau se percher sur son épaule.
Le second secret de l’oiseau : « Si on te dit quelque chose d’incroyable, ne le crois pas sans chercher à comprendre, à avoir des preuves et à aller voir d’autres sources. »
Encore une fois, le chasseur trouve que cette vérité fait du sens. Il laisse l’oiseau s’envoler vers la plus haute branche de l’arbre où il ne peut plus l’atteindre.
L’oiseau se moque alors de l’homme! « Ah Ah! Tu m’as laissé partir alors que ma chair est succulente et qu’il y a deux gros diamants de 50 grammes chacun dans mon ventre! »
L’homme rage, crie, se désespère et s’arrache les cheveux de la tête! « Tu m’as bien eu! Mais maintenant que tu es libre, dis-moi au moins le troisième secret! »
« Je ne devrais pas puisque tu n’as pas écouté les deux autres! Tu as regretté m’avoir laissé partir alors que je t’ai dit de ne rien regretter. Tu as cru qu’un oiseau qui était si léger dans ta main pouvait contenir deux diamants de 50 grammes, alors que c’était incroyable. La troisième vérité c’est que les fausses promesses de gains faciles peuvent faire oublier aux humains toute sagesse. C’est pour ça que tu dois marcher et que moi je vole! »
Cette histoire, racontée en novembre, a laissé une forte impression aux enfants. Et lorsque nous faisons un retour à la dernière rencontre, les élèves mentionnent tout de suite cette histoire parmi celles qui continuent à les faire réfléchir. À travers les semaines, je vois qu’ils ont appris que les contes ne donnent pas de réponse mais posent des questions à l’humanité. Une élève le résume joliment en disant : « Je me suis aperçu que derrière chaque conte, il y a une énigme! »
Cohésion et respect
Le fait de décortiquer les histoires racontées tout au long de nos rencontres pour en dégager les sens enfouis et apprendre à réfléchir ensemble aux grandes questions qui y sont soulevées nous a permis de réaliser l’impact de ces histoires intemporelles qui ont su voyager à travers les peuples et ont jalonné l’histoire de l’humanité. Je ressors de cette expérience avec cette idée que le conte peut permettre une meilleure cohésion sociale et aider les humains à mieux vivre ensemble, à prendre plus intensément conscience de ce « nous » si important pour assurer la suite du monde.
À la dernière rencontre, les élèves ont été invités à commenter leur expérience. D’abord oralement, ensemble, puis chacun et chacune d’eux par écrit. Je retiens de leur témoignage que l’expérience leur a permis de mettre de côté les préjugés qu’ils avaient parfois les uns à propos des autres. Ils ont manifesté avoir mieux appris à connaître les autres. Une élève a écrit que cette occasion d’échanger nos idées ensemble sans se sentir jugé était ce qu’elle avait retenu de plus précieux. Selon les témoignages, je réalise que l’expérience a renforcé la cohésion du groupe et le respect mutuel. « J’ai appris que nous sommes tous égaux » a écrit un élève.
Les élèves m’ont demandé s’ils auront l’occasion de faire de la philosophie au secondaire. L’enseignante et moi répondons que le programme de Citoyenneté et culture québécoise leur permettra de continuer à réfléchir à propos de différents enjeux et d’échanger leurs pensées avec les autres. Je souhaite que cette expérience vécue avant l’entrée au secondaire soit porteuse de sens pour ces élèves qui y ont participé avec une ouverture, un respect et une bienveillance qui donne espoir en la suite du monde.
Transmission magique
Je retiendrai de cette expérience une nouvelle dimension apportée à mon travail de conteuse. Les témoignages éloquents des enfants résumaient la forte impression que le conte avait eu sur eux. Plusieurs ont exprimé avoir, à leur tour, voulu porter ces histoires entendues jusque dans leur milieu familial pour y ouvrir là aussi, des échanges de parole importants. Que ces récits puissent ainsi trouver leur chemin, une fois sortis de la classe, pour entrer dans les maisons, ouvrant les esprits et les cœurs, sans même avoir à passer par des écrans et la technologie, m’émeut et me permet de mesurer l’importance d’une telle initiative de transmission auprès des jeunes.
Avant de les quitter, je leur fais cadeau d’un dernier conte : Le poil de la Grande-Ourse. Dans ce conte, l’héroïne traverse toutes les épreuves et fait montre de ténacité, force et patience pour s’approcher de la bête féroce et ramener un poil « magique ». La sorcière brûle le poil et enseigne à la jeune fille que toute la magie dont elle a besoin est en elle, dans cette force et ce courage qu’elle a démontré. Je leur souhaite à chacun de trouver leur magie intérieure!
[1] Projet financé dans le cadre de l’Entente sur le développement culturel de Montréal conclue entre la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec.
Biographie de Ariane Labonté
Ariane Labonté porte ses contes éthiques et poétiques aux adultes et aux enfants depuis plus de 18 ans. Bachelière en création littéraire, marionnettiste, musicienne et conteuse, ses histoires comportent un message humaniste, écologiste et pacifiste. Par ses acrobaties langagières, elle invite les gens à entrer dans un univers sensible et sensé. Elle valse avec les mots pour stimuler, avec ludisme, une réflexion profonde sur notre monde. Elle offre son langage en gage d’engagement.