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Pourquoi Grimm?

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L’utilisation des contes de Grimm dans la pédopsychiatrie

 

La pédopsychiatre Lorraine Boucher découvre la puissance des contes de Grimm dans le processus thérapeutique.

 

Les enfants de la DPJ sont déjà dans un mauvais conte de famille

 

Pourquoi Grimm? Comment répondre à cette question?

 

Au sein de mon engagement de pédopsychiatre auprès d’une clientèle d’enfants de 6 à 12 ans, hébergés en Centre de rééducation, sous la Loi de la Protection de la Jeunesse, je dois admettre que cette question m’est venue tardivement. Les enfants que l’on dit de la DPJ, qui ont pourtant eu des parents avant cet hébergement hors du milieu familial, ont vécu ce qu’on pourrait appeler un mauvais conte de famille.

 

Au fil d’une trentaine d’années de pratique, j’ai accompagné ces enfants du mieux que j’ai pu avec de nombreux partenaires de l’ombre. J’ai tenté de rejoindre les enfants par toutes sortes de voies thérapeutiques : thérapie individuelle par le jeu, thérapie familiale, thérapie mère-enfant, thérapie de l’enfant par l’intermédiaire des parents, internat-thérapie, et supervisions diverses des partenaires, psychologues, éducateurs, travailleurs sociaux, enseignants.

 

La création d’un groupe-conte

 

Plus récemment, comme j’étais préoccupée par les enfants bloqués sur une image traumatique semblant stationnaires dans leur évolution, l’idée de leur offrir un groupe-conte a germé. L’école de l’institution du centre d’hébergement a accepté de participer au projet. S’est constitué un groupe de 4 à 5 enfants de 6 à 12 ans qui pouvaient être intéressés par les contes de Grimm malgré leur indisponibilité à tout apprentissage scolaire, à toute alliance en milieu de vie rééducatif, ou à toute approche psychothérapeutique tentée jusqu’alors avec eux.

 

L’annonce faite était celle d’une thérapie groupale de mentalisation assistée par la médiation des contes de Grimm.

 

Tout comme les conteurs font en s’inspirant des conteurs d’avant eux, je me suis inscrite dans la tradition des psychanalystes, pédopsychiatres, psychologues, thérapeutes qui avaient déjà fait l’expérience de ce type de thérapie féconde par la médiation des contes. Je l’ai simplement adaptée aux difficultés présentées par le type d’enfants que j’accompagne.

 

Les caractéristiques du groupe-conte

 

Le cadre adopté avait les aspects suivants :

  • Un lieu chaleureux, couettes, coussins, doudou, lumière tamisée, murale invitante, horloge qui marque le temps.
  • Des constances de lieu, de temporalité, des rituels rassurants, une prévisibilité tenace.
  • Une comptine d’ouverture, une autre de fermeture, une valise qu’on ouvre et qui contient le livre magique mais qu’on referme à la fin du groupe-conte pour emprisonner les peurs jusqu’au prochain rendez-vous.
  • Une petite maisonnette dans un coin où un enfant peut s’isoler pour s’autoréguler au besoin.

 

Quant aux caractéristiques des enfants du groupe, notons que tous nous apparaissaient réfractaires aux adultes qui d’ailleurs leur inspiraient peu confiance, réfractaires à l’école, tantôt régressés, passifs, retirés, encoprétiques, tantôt agissant, incapables d’écouter mais soucieux qu’on les écoute, ou encore suractivés et prêts à bondir, voire violents. Heureusement, j’étais assistée par une psychologue et une éducatrice dans cette entreprise.

 

Le déroulement du groupe-conte

 

Nous avons eu cinquante heures de thérapie et avons lu plusieurs contes sur deux ans : Les Trois petits cochons, Hansel et Gretel, Les Trois cheveux d’or du diable, Cendrillon, le Pêcheur et sa femme, Les Musiciens de Brême, Le Loup et les sept chevreaux, Le Conte du genévrier, Neige-Blanche et Rose-Rouge, Le roi grenouille ou Henry-de-Fer, Blanche-Neige, Un œil, deux yeux, trois yeux et enfin l’Histoire de celui qui s’en alla apprendre la peur.

 

La lecture d’un conte était suivie d’une période de dessins, de plasticine et de théâtre, chaque conte occupant trois rencontres.

 

Je reviens donc à ma question initiale : Pourquoi les contes de Grimm? Pourquoi ce choix alors que ces contes parlent :

 

  • de parents maltraitants (Cendrillon);
  • d’abandon cruel (Hansel et Gretel);
  • de menace incestueuse (le Petit chaperon rouge);
  • de séparation tragique (les Musiciens de Brême);
  • d’infanticide et de parenticide (le Genévrier);
  • d’amputation de membre (Cendrillon);
  • de violence conjugale (Barbe Bleue);
  • de narcissisme pervers (la Belle au bois dormant)?

 

Il était une fois…il y très très très longtemps!

 

Malgré le contenu difficile des contes, leur intérêt tient au fait que ces histoires se passent il y a très longtemps, au-delà des mers et des montagnes. C’est la proposition d’il était une fois qui rassure les enfants. Ce n’est pas leur histoire et ce n’est surtout pas maintenant.

 

Pourquoi les histoires de Grimm?

 

Par ailleurs, pourquoi les Contes de Grimm plus que d’autres contes?

 

Ces contes sont là depuis des siècles, éprouvés et toujours « redemandés » par les enfants eux-mêmes. Ils furent éprouvés au sein d’une tradition orale soutenue par les mères, les grands-mères, les conteurs, et les enfants ravis avant que ces contes ne soient colligés par les frères Grimm au cours du XIXe siècle. Ils sont une source d’inspiration pour des scénaristes, conteurs et romanciers encore aujourd’hui. Ils aident les enfants à penser grâce aux images et aux symboles proposés, qui leur parlent directement. Ils offrent des figures de projection puissantes – loup, ogre, sorcière, marâtre. Ils permettent ainsi à l’enfant d’y projeter les émotions négatives qui existent en eux, comme chez tous les humains, même chez leurs parents.

 

Grâce au merveilleux, à l’imaginaire ludique, à la fantaisie, au rêve, à la dramatisation et à la poésie venus des gens et de la nature, ils aident l’enfant à affronter ses peurs, les peurs de la nuit, les peurs du jour, et surtout les séparations nécessaires.

 

Les contes de Grimm mettent la famille au premier plan. Ils abordent les thèmes importants de la naissance et de la mort, ainsi que des émotions intenses : l’amour dévorant, surtout contrarié avant d’être triomphant, la jalousie, l’avidité insatiable, l’envie destructrice, la colère violente, la peur, la terreur, et la réconciliation. Ils abordent les inégalités sociales, mais offrent l’espoir de la récompense au mérite à travers les épreuves de la vie, mais surtout la punition du malin. Eh oui, les contes le confirment : le mal existe et il faut s’en protéger. Ils enseignent la nécessité de se défendre, un message combien précieux pour les enfants abusés qui peinent à jeter la sorcière au feu. Ultimement le petit héros comme la petite héroïne gagnent grâce à leur courage, leur amour tenace et leur altruisme.

 

Les effets bénéfiques des contes sur les enfants

 

Au cours des deux années de groupe-conte, nous avons vu les enfants progresser, circonscrire davantage le bien et le mal, reprendre leur développement, retourner à l’école soucieux d’apprendre à lire les contes et à écrire les petites saynètes que nous avions jouées tous ensemble. L’absentéisme aux rencontres a été rare. Au théâtre du conte, alors qu’au début chacun des enfants ne savait jouer qu’un seul rôle – bien que jouer et le faire-semblant étaient des enjeux au départ – vers la fin de l’expérience, ils pouvaient jouer tous les rôles des protagonistes du conte.

 

Ceci témoigne d’un monde interne devenu plus riche, plus agile, plus créatif, moins coincé sur une scène traumatique figée. De plus, les capacités d’attention des enfants s’étaient grandement améliorées, ce qui témoigne également que les scènes animées internes étaient devenues moins inquiétantes. À la manière des contes qu’on se raconte simplement au cours de notre vie, de meilleurs contes avaient pris place à l’intérieur des enfants du groupe-conte.

 

Pourquoi les contes de Grimm? À travers le prisme du groupe-conte, je n’y ai vu que des bienfaits pour tous les enfants tout en y découvrant un pouvoir thérapeutique impressionnant.

Lorraine Boucher

Psychiatre et pédopsychiatre œuvrant en institution psychosociale depuis 30 ans (Centre jeunesse de Montréal), Lorraine Boucher est membre de la Société psychanalytique de Montréal. Elle s’intéresse à la psychanalyse sur le divan comme pour la psychanalyse hors les murs. Sa présentation scientifique à la Société psychanalytique de Montréal, en avril 2023, portait sur son expérience de thérapie de mentalisation médiée par les contes de Grimm auprès d’un groupe d’enfants en phase de latence.

 

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